A propos

L'auteur: Marc Lohez.

Je m'intéresse depuis le début des années 2000 aux élevages exotiques sur le territoire français (pour les Cafés géographiques et les Cahiers Espaces). Je souhaite montrer dans ce blog les liens entre les deux âges du caviar français: celui qui s'étend des années vingt aux années soixante et celui qui a débuté il y a vingt ans. L'aventure économique actuelle est également présentée en rapport avec les efforts de conservation ou plutôt de réintroduction de l'espèce locale, le sturio.

contact: monbeaucaviar@rphg.eu

jeudi 27 janvier 2011

ressources du web: le reportage de Thierry Bourgeon ( radio du goût)

De nombreuses vidéos en ligne montrent le fonctionnement des élevages, en fait d'un élevage le plus souvent. Les reportages des journaux télévisés en temps de fêtes servent souvent le même menu résumant  la production des perles noires à la préparation des oeufs. D'autres, dans le cadre d'émissions relevant davantage du magazine, prennent le temps d'exposer l'ensemble de la chaine de production. Le plus complet des reportages disponibles sur la toile n'est portant pas une vidéo, mais une émission de radio d'une vingtaine de minutes, découpées en 5 séances et liées à des diaporamas. En avril 2010, Thierry Bourgeon visitait quelques uns des sites du plus grand producteur français de caviar, le groupe Sturgeon.


Afficher Caviar en France sur une carte plus grande: les sites de production de Strugeon apparaissent en mauve. L'écloserie de Saint-Seurin est masquée par la pastille verte du centre du Cemagref.



Le premier extrait du reportage est une interview avec Jean Boucher. Cofondateur, avec le britannique Alan Jones de la SCEA Sturgeon en 1995, au moment du basculement de l'élevage d'esturgeon vers la production de caviar. Le fils de René Boucher évoque son entrée dans ce monde de l'esturgeon auquel il n'était pas prédestiné mais qui coïncide avec cette singulière aventure française qui conjugue sauvegarde d'une espèce menacée et élevage d'une espèce exotique, l'esturgeon sibérien.

Thierry Bourgeon décrit ensuite l'écloserie de Saint-Seurin-sur- l'Isle où Sturgeon reproduit les Baerii pour fournir de jeunes esturgeons aux piscicultures du groupe mais aussi aux autres élevages voire... à l'aquariophilie. Dans cet espace que l'on imagine aisément marqué par les nouvelles technologies, les oeufs et la laitance des esturgeons sont doucement mélangés à la main et à la... plume de canard.

Le troisième temps du reportage nous emmène à Saint Fort dur Gironde, la plus grande pisciculture du groupe.

Afficher Caviar en France sur une carte plus grande
Outre le grossissement de l'esturgeon sibérien, la grande ferme aquacole semble préparer les lendemains du groupe avec l'élevage de deux autres espèces d''esturgeons comme l'ossiètre et le fabuleux beluga.

Les femelles esturgeons partent un jour dans des bacs d'eau douce vers Saint-Genis-de-Saintonge pour un dernier voyage; Thierry Bourgeon y décrit le centre de production du caviar de Sturgeon, fasciné par le tour de main lors du tamisage et surtout du salage des œufs, l'opération la plus délicate et qui les transforme véritablement en caviar.

De la naissance des alevins à l'affinage du caviar, Thierry Bourgeon parvient à nous immerger dans l'univers de cette production, grâce à l'ambiance sonore des lieux et aux témoignages des acteurs dans ce document aussi efficace qu'agréable.

mercredi 26 janvier 2011

Lecture: René Val ou la véritable histoire du Caviar de la Gironde

 René Val ou la Véritable Histoire du caviar de la Gironde, propos recueillis par Bernard Mounier, éditions Bonne Anse, 2005, 20 euros.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Saint-Seurin d'Uzet est une petite commune de Charente-Maritime, un ancien port de pêche de l'estuaire de la Gironde qui fut pendant quarante ans le plus grand atelier de production du caviar français, issu de l'esturgeon Européen (Acipenser Sturio) . La commune tente depuis les années 2000, dans le contexte de la relance de la production de caviar français par l'élevage, de rappeler son rôle historique.

René Val est un enfant de Saint-Seurin d'Uzet; né en 1919, ce commerçant se transforme dans les années cinquante en historien du caviar de Gironde dont il est un des témoins du développement. Les témoignages de René Val ont été assemblés et transcrits par Bernard Mounier, auteur mais aussi producteur et réalisateur de télévision ; il a été notamment un ancien directeur des programmes de FR3 dans les années 80. Rien d'étonnant à ce que son ouvrage ait servi de base au documentaire réalisé en 2007.

La structure de l'œuvre se prête bien en effet à l'adaptation télévisuelle: une série de récits rédigés à la première personne, accompagnés d'une importante illustration photographique, issue notamment des cartes postales d'époque, où les prises de gros esturgeons fièrement exposées rapprochent cette histoire de caviar du folklore baleinier(1).


Un document majeur: un article sur le caviar français en 1936

Bernard Mounier mèle les souvenirs de René Val à la mise en valeur de documents-clés sur l'histoire du caviar français. Le premier est un article de sud-ouest de 1962, un des plus anciens témoignages du mythe fondateur du caviar français, "la princesse russe au parapluie": alors que les premiers essais pour produire du caviar de Gironde ont été interrompus par la première guerre mondiale, une russe blanche en villégiature à Saint-Seurin vers 1920 apprend aux pécheurs tout le profit qu'il pourraient tirer de la "rabe", les oeufs en patois, dont ils se débarrassaient jusqu'alors. La connaissance d'un passé du caviar de Gironde a plus probablement poussé les maisons parisiennes à envoyer des missionnaires sur place dans les années qui ont suivi la fin de la Première Guerre Mondiale.

Plus loin, Bernard Mounier insère le fac-simile d'un article d'une trentaine de pages rédigé en 1936 par Alexander Scott l'émigré russe qui a mis au point la production du Caviar de Gironde pour Emile Prunier, directeur d'un grand restaurant parisien spécialisé dans les produits de la mer. Après quelques pages générales sur les espèces d'esturgeon et la production dans le monde, Scott se concentre sur l'esturgeon européen qui peuple la Gironde, sa pêche et la mise en place de la production pour la maison Prunier dans les "stations" qui s'échelonnent le long de la rive droite de l'estuaire. La technique décrite (passage des œufs au tamis, rinçage, salage, mise en boite), Scott décrit également les autres usages de l'esturgeon, dont la curieuse colle faite d'une paroi de la vessie natatoire de l'animal. Son article témoigne surtout que dès 1936, la menace de la disparition de l'esturgeon est perceptible par ceux là même qui organisent la production du caviar. Scott dénonce en effet la sur-pêche (notamment des jeunes esturgeons) et souligne les efforts de Prunier pour promouvoir des restrictions, décidées par les autorités, mais peu respectées par les pêcheurs. Il ne se montre guère optimiste sur l'avenir de la ressource d'autant que les techniques de reproduction et de repeuplement , dont il évoque les débuts à son époque, ne sont pas alors encore abouties.

Quelques pages sont ensuite consacrées à la vie qui s'installe autour des pêches de ces poissons, des visites des vedettes et des politiques sur les bords de l'estuaire qui viennent y déguster le caviar. C'est peut être ici qu'apparaît le plus nettement la contraste entre le mode de vie de ces travailleurs de la mer et l'ambiance de luxe et de prestige qui entoure les perles noires.

La convergence des deux histoires autour du nom de Prunier.

 Un entretien avec  le petit-fils d'Emile Prunier, lui même directeur du restaurant de 1960 à 1990 permet de retracer la destinée cette maison, mais aussi d'évoquer la fin de la première histoire du caviar français avec le déclin rapide des prises dans les années soixiante. Les efforts pour sauver et réintroduire le sturio dans le milieu naturel sont abordés dans le cadre d'une visite de René Val dans la station du CEMAGREF chargée d'élever et de préparer la réintroduction de l'esturgeon européen. Lors de l'entretien,avec le directeur du site l'auteur apprend toute la difficulté de maintenir en bassin et de faire reproduire ce poisson particulièrement difficile. La naissance et le développent de élevage actuel d'esturgeon sibérien (Acipenser Baerii) apparait au cours de la conversation puisque ce poisson a servi de modèle au Cemagref avant de se lancer dan la sauvergarde du Sturio.

Le dernier chapitre ne développe pas beaucoup plus cette deuxième aventure du caviar français sauf sur un point: l'arrivée de Pierre Bergé dans le monde du caviar avec la relance de la marque Prunier comme producteur, la fusion de Prunier avec la société de distribution Caviar House et la volonté de ces acteurs de créer un musée du caviar dans une auberge de Saint-Seurin d'Uzet qui restituerait à celle-ci sa fonction de capitale du caviar.  Pour René Val, la boucle serait en quelque sorte bouclée.

Si l'on peut douter de l'avenir de Saint-Seurin d'Uzet comme lieu symbolique du caviar français, cet ouvrage parvient à réunir ces deux histoires autour de la figure du témoin et donc à inscrire ce passé de pêche dans le patrimoine actuel de la sauvegarde du sturio et de l'élevage du baerii.


(1): quelques photographies présentes dans le livres sont également mis en ligne sur le site du musée du patrimoine royannais.

Grains de folie : petite histoire du caviar français - wideo
Ce film de 52 minutes se déroule en suivant les paroles de René Val, historien du caviar, aujourd’hui âgé de 89 ans, habitant de Saint Seurin d’Uzet, près de Talmont sur Gironde, en Charente Maritime.



Pour en savoir plus : http://limousin-poitou-charentes.fr
Mots-clés : français caviar

dimanche 9 janvier 2011

Les espaces du caviar français (2) des systèmes locaux de production ?

La géographie du caviar français témoigne donc d'une très grande concentration spatiale; elle se caractérise également par la construction de réseaux de producteurs, même s'il est peut-être encore trop tôt pour parler d'un système local de production. Les producteurs autonomes, qui pratiquent à la fois le grossissement de l'esturgeon et la fabrication du caviar dans un même site sont devenus fort rares: il ne reste en fait que le Moulin de la Cassadote et l'Esturgeonnnière, toutes deux situées en marge du bassin d'Arcachon. Pour le reste, les piscicultures tendent à s'associer et à former des réseaux plus où moins étendus, dominés par une société qui maîtrise la fabrication du caviar, voire la totalité de la filière.
Trois réseaux doivent être distingués par ordre de taille: le caviar de Sologne, la Maison Prunier (Prunier manufacture) et la SCEA Sturgeon qui produit la moitié du caviar français et contrôle neuf sites de production.

La Sologne


Afficher Caviar France sur une carte plus grande

Près de Lamotte-Beuvron, la famille Hennequart possède une pisciculture de repeuplement (pour la pêche) depuis 1971. Vincent Hennequart qui a été initié à l'esturgeon du coté du bassin d'Arcachon s'est lancé dans cet élevage en utilsant les bassins et les étangs de la pisciculture familiale au début des années 2000, avec une production de caviar depuis 2007. Il s'agit d'étendues d'eaux beaucoup plus importantes que ce que l'on peut trouver autour de la Gironde: la logique est beaucoup plus extensive avec une faible densité de poisson. Le développement des activité et de la production (une tonne sur les vingt de la production française) ne peut donc se faire qu'en associant d'autres piscicultures, comme celle Bertrand Pajon à Jouy-le Potier, plus au nord. Le réseau n'en est donc qu'à son point de départ, construit autour d'un élevage maître qui maîtrise le grossissement et la production et possède sa propre marque de caviar (Solsenska).


Le triangle Prunier.



Afficher Caviar en France sur une carte plus grande. Les sites liés à Prunier son en jaune sur la carte.


Prunier est à la fois un nom qui évoque toute l'histoire du caviar français et un très grand producteur, le deuxième après Sturgeon. Lorsque Pierre Bergé a voulu redonner vie à la marque Prunier, il s'est appuyé sur un gros élevage de Dordogne, Estudor, lancé par le biologiste Laurent Sabeau au tout début des années quatre-vingt-dix. Le site de Montpon comprend à la fois une pisciculture et un atelier de fabrication  qui produit pour Prunier quelques cinq tonnes de caviar.  Si celui-ci n'a pas atteint les limites de ses capacités, il n'en est pas de même pour l'ensemble des bassins pourtant agrandi dans les années 2000. Il fallait "dé-serrer" l'élevage ailleurs. Prunier Manufacture est donc lié depuis plusieurs années à un producteur également très ancien, mais bien plus modeste: Pierre Tachon, qui élève des esturgeons au Tarsaguet (Riscle, Gers)  depuis 1991, et possède sa propre écloserie, ne fournit à Montpon que de quoi réaliser quelques centaines de kilo de caviar. Ces quantités devraient considérablement progresser dans les années à venir car près d'un hectare de bassins a été creusé à Riscle ces cinq dernières années pour accueillir des Baerii de Montpon mais aussi des ossiètres; les éleveurs français comptent en effet sur cette espèce plus réputée mais autorisée depuis peu en France pour développer le marché. Le partenariat, étroit puisque Prunier est rentré dans le capital de la société de Pierre Tachon, offre donc des avantages réciproques: le Moulin de Tarsaguet apporte de la "surface" et un certain savoir-faire dans la valorisation de la chair de l'esturgeon à Prunier qui permet de son coté à Pierre Tachon de faire réaliser le caviar dans un atelier puissant, au point et adossé au premier distributeur mondial, Caviar House & Prunier.
 Les relations avec le dernier acteur de ce "triangle Prunier" sont différentes: Frédéric Vidal a transféré les esturgeons de son élevage en étangs du Maine-et-Loire vers les Eyzies en Dordogne. Il vient de produire en 2010 son premier caviar sous sa propre marque, Perle Noire du Perigord. Si la société Aquadem de F. Vdal  n'est pas liée par son capital à Prunier, elle fait partie de son système local par la proximité et le lien constitué par l'envoi des esturgeons pour la production de caviar à l'atelier de Montpon.


Sturgeon: un véritable système local de production.


Afficher Caviar en France sur une carte plus grande

La SCEA Sturgeon occupe une position dominante dans la production française, avec une dizaine de tonnes de caviar elle fabrique plus de deux fois les quantités élaborées par le second, Prunier.  Les fondateurs, la famille Boucher et le biologiste britannique Alan Jones ont su tisser un réseau étendu de sites de production à cheval sur la Charente-Maritime, et la Gironde. Les quatre lieux majeurs de ce réseau complet sont la grande ferme Aquacole de Saint-Fort-sur-Gironde, l'écloserie de Saint-Seurin sur l'isle, le site de conditionnement de Saint-Genis où les femelles sont abbatues, le caviar préparé et mis en boite, enfin  le siège social de Saint-Sulpicie-et-Calmeyrac près de Bordeaux. Au delà, Sturgeon à su s'associer avec d'autres pisciculteurs pour étendre les capacités en grossissement des esturgeon et la diversification actuelle vers d'autres espèces que le Baerii. Pour l'essentiel, il s'agit de diversifications ou de reconversions depuis l'élevage de salmonidés ou de poissons de repeuplement. Au total une dizaine de sites et sept piscicultures font de Sturgeon une galaxie du caviar très ancrée autour de la rive nord (droite) de l'estuaire, proches des lieux où se préparaient autrefois les boites du  premier âge du caviar français. Pourtant, le groupe use peu de cette référence historique et son réseau est plutôt ouvert sur l'extérieur, des liens ayant été tissés avec des producteurs européens , qui achètent par ailleurs les alevins de Saint-Seurin, et chinois pour les besoins de ce marché émergent dit-on.

Il reste à savoir comment le site de Neuvic sur l'Isle, exploité par la société Huso dont Delpeyrat participe au capital s’insérera dans cet ensemble de producteurs, désormais de plus en plus concentrés géographiquement. Cette concentration géographique soulève la question d'une appellation protégée, un IGP qui refait surface régulièrement sans que le dossier semble beaucoup avancer.

vendredi 7 janvier 2011

Les espaces du caviar français.


La géographie de la production du caviar français est relativement simple et concentrée. Les acteurs sont peu nombreux: cinq groupes de producteurs contrôlent les 16 sites de production. Ceux-ci sont de trois types. les écloseries qui pratiquent la reproduction et  obtiennent des alevins sont rares France et les deux principales sont situées dans le département de la Gironde: l'écrasante majorité des esturgeons Acipenser Baerii qui produisent du caviar en France sont donc originaires de là.  Les bassins et étangs de sélection et de grossissement des esturgeons sont les plus nombreux:ils sont  une quinzaine sur cinq départements, trois d'entre eux (Charente-Maritime, Gironde et Dordogne) concentrant trois-quart des sites. Enfin les ateliers de production, où les femelles sont abattues, les oeufs sélectionnés, tamisés nettoyés et salés avant d'être mis en boite se comptent sur les doigts d'une main (mais il existe également d'autres lieux de conditionnement, y compris dans la capitale).

Cette concentration est liée à l'histoire des deux esturgeons en Gironde et plus particulièrement aux efforts du Cemagref de Bordeaux pour sauver l'esturgeon sauvage européen dans le dernier espace où l'on peut le trouver: l'estuaire de la Gironde.  Mais ces efforts ont aboutit à développer autour de l'estuaire l'élevage d'un esturgeon sibérien, un peu plus facile à maîtriser.

Le travail de repérage ci-dessous est un inventaire de l'ensemble ce ces sites : les couleurs désignent les groupes pour lesquels les pisciculteurs travaillent. Dans la mesure du possible, les lieux exacts des piscicultures ont été repérés. La présentation rapide des grands acteurs du secteurs comprend la date de création des entreprises, le nom des dirigeants, les marques de commercialisation et le site web. Le rôle de chaque site est également précisé. On ne trouvera pas ici les sites de conditionnement des grandes maisons parisiennes( Petrossian, Kaspia, Kaviari) qui feront l'objet d'un repérage ultérieur.


Afficher Caviar France sur une carte plus grande

Le "centre du monde" du caviar français est compris dans un rectangle qui englobe plusieurs espaces de la périphérie Bordelaise: à l'est du le bassin d'Arcachon 'on trouve à la fois le Moulin de Cassadote qui fut le premier à produire du caviar en 1993 et l'Esturgeonière, à peine moins ancienne, qui utilise la géothermie et possède l'une des rares écloseries de France. Plus au nord et à l'est, la basse vallée de l'Isle comprend à la fois le Libournais et l'extrémité occidentale de la Dordogne: c'est là que se concentrent deux autres lieux majeurs du caviar français: la plus ancienne élcoserie d'esturgeons, liée au départ au centre du Cemagref pour la sauvegarde du Sturio qui la côtoie toujours. Elle est également la plus puissante d'Europe et fournit des alevins à des éleveurs en France mais aussi dans d'autres pays européens. Elle fait aujourd'hui partie du groupe Sturgeon. En amont, Montpon est le fief de la maison Prunier de Pierre Bergé qui y a racheté la pisciculture Estudor de Laurent Sabeau et qui y produit son caviar. Plus en amont encore sur la vallée de l'Isle, à Neuvic, la société Huso a récemment reconverti la pisciculture de la grande Veyssière pour l'élevage d'esturgeon. Enfin, entre l'Isle et Arcachon, Sturgeon qui produit plus de la moitié du caviar Français, a installé son siège social juste à l'est de Bordeaux (Saint Sulpice).



Afficher Caviar France sur une carte plus grande


La géographie du caviar français témoigne donc d'une très grande concentration spatiale; elle se caractérise également par la construction de réseaux de producteurs, même s'il est peut-être encore trop tôt pour parler d'un système local de production. Les producteurs autonomes, qui pratiquent à la fois le grossissement de l'esturgeon et la fabrication du caviar dans un même site sont devenus fort rares: il ne reste en fait que le Moulin de la Cassadote et l'Esturgeonnnière, toutes deux situées en marge du bassin d'Arcachon. Pour le reste, les piscicultures tendent à s'associer et à former des réseaux plus où moins étendus, dominés par une société qui maîtrise la fabrication du caviar, voire la totalité de la filière.
Trois réseaux doivent être distingués par ordre de taille: le caviar de Sologne, la Maison Prunier (Prunier manufacture) et la SCEA Sturgeon qui produit la moitié du caviar français et contrôle neuf sites de production.

La Sologne


Afficher Caviar France sur une carte plus grande

Près de Lamotte-Beuvron, la famille Hennequart possède une pisciculture de repeuplement (pour la pêche) depuis 1971. Vincent Hennequart qui a été initié à l'esturgeon du coté du bassin d'Arcachon s'est lancé dans cet élevage en utilsant les bassins et les étangs de la pisciculture familiale au début des années 2000, avec une production de caviar depuis 2007. Il s'agit d'étendues d'eaux beaucoup plus importantes que ce que l'on peut trouver autour de la Gironde: la logique est beaucoup plus extensive avec une faible densité de poisson. Le développement des activité et de la production (une tonne sur les vingt de la production française) ne peut donc se faire qu'en associant d'autres piscicultures, comme celle Bertrand Pajon à Jouy-le Potier, plus au nord. Le réseau n'en est donc qu'à son point de départ, construit autour d'un élevage maître qui maîtrise le grossissement et la production et possède sa propre marque de caviar (Solsenska).


Le triangle Prunier.



Afficher Caviar en France sur une carte plus grande. Les sites liés à Prunier son en jaune sur la carte.


Prunier est à la fois un nom qui évoque toute l'histoire du caviar français et un très grand producteur, le deuxième après Sturgeon. Lorsque Pierre Bergé a voulu redonner vie à la marque Prunier, il s'est appuyé sur un gros élevage de Dordogne, Estudor, lancé par le biologiste Laurent Sabeau au tout début des années quatre-vingt-dix. Le site de Montpon comprend à la fois une pisciculture et un atelier de fabrication  qui produit pour Prunier quelques cinq tonnes de caviar.  Si celui-ci n'a pas atteint les limites de ses capacités, il n'en est pas de même pour l'ensemble des bassins pourtant agrandi dans les années 2000. Il fallait "dé-serrer" l'élevage ailleurs. Prunier Manufacture est donc lié depuis plusieurs années à un producteur également très ancien, mais bien plus modeste: Pierre Tachon, qui élève des esturgeons au Tarsaguet (Riscle, Gers)  depuis 1991, et possède sa propre écloserie, ne fournit à Montpon que de quoi réaliser quelques centaines de kilo de caviar. Ces quantités devraient considérablement progresser dans les années à venir car près d'un hectare de bassins a été creusé à Riscle ces cinq dernières années pour accueillir des Baerii de Montpon mais aussi des ossiètres; les éleveurs français comptent en effet sur cette espèce plus réputée mais autorisée depuis peu en France pour développer le marché. Le partenariat, étroit puisque Prunier est rentré dans le capital de la société de Pierre Tachon, offre donc des avantages réciproques: le Moulin de Tarsaguet apporte de la "surface" et un certain savoir-faire dans la valorisation de la chair de l'esturgeon à Prunier qui permet de son coté à Pierre Tachon de faire réaliser le caviar dans un atelier puissant, au point et adossé au premier distributeur mondial, Caviar House & Prunier.
 Les relations avec le dernier acteur de ce "triangle Prunier" sont différentes: Frédéric Vidal a transféré les esturgeons de son élevage en étangs du Maine-et-Loire vers les Eyzies en Dordogne. Il vient de produire en 2010 son premier caviar sous sa propre marque, Perle Noire du Perigord. Si la société Aquadem de F. Vdal  n'est pas liée par son capital à Prunier, elle fait partie de son système local par la proximité et le lien constitué par l'envoi des esturgeons pour la production de caviar à l'atelier de Montpon.


Sturgeon: un véritable système local de production.


Afficher Caviar en France sur une carte plus grande

La SCEA Sturgeon occupe une position dominante dans la production française, avec une dizaine de tonnes de caviar elle fabrique plus de deux fois les quantités élaborées par le second, Prunier.  Les fondateurs, la famille Boucher et le biologiste britannique Alan Jones ont su tisser un réseau étendu de sites de production à cheval sur la Charente-Maritime, et la Gironde. Les quatre lieux majeurs de ce réseau complet sont la grande ferme Aquacole de Saint-Fort-sur-Gironde, l'écloserie de Saint-Seurin sur l'isle, le site de conditionnement de Saint-Genis où les femelles sont abbatues, le caviar préparé et mis en boite, enfin  le siège social de Saint-Sulpicie-et-Calmeyrac près de Bordeaux. Au delà, Sturgeon à su s'associer avec d'autres pisciculteurs pour étendre les capacités en grossissement des esturgeon et la diversification actuelle vers d'autres espèces que le Baerii. Pour l'essentiel, il s'agit de diversifications ou de reconversions depuis l'élevage de salmonidés ou de poissons de repeuplement. Au total une dizaine de sites et sept piscicultures font de Sturgeon une galaxie du caviar très ancrée autour de la rive nord (droite) de l'estuaire, proches des lieux où se préparaient autrefois les boites du  premier âge du caviar français. Pourtant, le groupe use peu de cette référence historique et son réseau est plutôt ouvert sur l'extérieur, des liens ayant été tissés avec des producteurs européens , qui achètent par ailleurs les alevins de Saint-Seurin, et chinois pour les besoins de ce marché émergent dit-on.

Il reste à savoir comment le site de Neuvic sur l'Isle, exploité par la société Huso dont Delpeyrat participe au capital s’insérera dans cet ensemble de producteurs, désormais de plus en plus concentrés géographiquement. Cette concentration géographique soulève la question d'une appellation protégée, un IGP qui refait surface régulièrement sans que le dossier semble beaucoup avancer.

mercredi 5 janvier 2011

Le second âge du caviar français (2)

Avec la réorientation de l'élevage d'esturgeon vers le caviar, le secteur va gagner quelques pisciculteurs supplémentaires, mais va surtout attirer de nouveaux acteurs. Les premières productions de Caviar s'échelonnent de 1993 à 1996 chez les pionniers, mais il ne s'agit que de quelques dizaines de kilo. Les premières quantités significatives obtenues à la fin de la décennies n'attirent guère les grands distributeurs traditionnels de perles noires, et la qualité de l'époque est souvent jugée décevante, avec un certain  "goût de vase".

1993: première production de caviar à Biganos (Jacques Carré)
1994: première production à Montpon (Laurent Sabeau, estudor)
1996: première production pour le groupe Sturgeon, marque Sturia (Alan Jones et famille Boucher)

Dans cette deuxième moitié de la décennie, les banques ne soutiennent guère les éleveurs. Les défaillances deviennent possibles comme en atteste le dépot de bilan de l'esturgeonière en 1998.

En quelques années, le secteur va pourtant connaître une explosion : de quelques centaines de kilo en 1998, le caviar français passe le seuil des cinq tonnes au tournant du millénaire et sa réputation permet une exportation massive par rapport à la production. Les conséquences de la raréfaction de la ressource de caviar d'origine sauvage commencent à se faire sentir: les acteurs du secteur voient alors d'un œil nettement plus positif le caviar d'élevage.

A suivre...

La chair de l'esturgeon

Comme le rappellent P. Williot et Laurent Sabeau, l'élevage de l'esturgeon sibérien a d'abord été pensé pour vendre sa chair. L'échec de cette logique a conduit le caviar  à devenir le produit principal en termes de chiffre d'affaire et de plus-value. Le poisson n'est donc au mieux qu'un sous-produit. Mais régulièrement, la filière tente de promouvoir les autres utilisations de l'esturgeon.

Voici l'une des expériences de promotion du poisson les plus anciennes et sans doute la pus savoureuse et la plus réjouissante à l'œil. A deux reprises et à un mois d'écart, la Cuisine des mousquetaires de Maïté et Micheline a proposé des recettes d'esturgeon: au vin rouge (bordelaise), au Sauternes et à la crème de basilic. Nous voici donc dix-huit ans en arrière,  en mai 1993, l'année où le Moulin de la Cassadote de Jacques Carré produit ses premiers œufs. D'où vient l'esturgeon entier présenté par Maïté dans la première recette ? Le nom de l'élevage n'est pas donné, mais la référence aux eaux de la Leyre indique qu'il s'agit d'un produit de l'Esturgeonière. Cet élevage proche du bassin d'Arcachon, utilisant par ailleurs la géothermie, avait été mis en service un an plus tôt par le mareyeur Michel Zinsius. L'esturgeon est lui même âgé de trois ou quatre ans, âge auquel les élevages se débarrassent des mâles pour ne garder que les futurs productrices de caviar.
Avant de visionner le petit quart d'heure de cette vidéo, on préviendra les âmes sensibles qui n'ont pas connu ce grand moment de télévision culinaire qu'était la Cuisine des mousquetaires: l'esturgeon entier est décapité et éviscéré devant la caméra avant d'être copieusement arrosé dans la cuisson avec du Saint-Emillion.


retrouver ce média sur www.ina.fr

Pour promouvoir l'esturgeon, Maïté insiste sur la simplicité de sa préparation, l'absence d'arêtes et les qualités esthétiques et de la texture de sa chair. Mais au delà de la recette de cuisine et du plaisir un peu décalé que l'on a à regarder cette émission, nous sommes en présence d'un document historique qui témoigne des premiers temps d'un élevage dont il était bien difficile à l'époque de prévoir l'avenir.

A suivre: des recettes médiévales au carpaccio contemporain.