A propos

L'auteur: Marc Lohez.

Je m'intéresse depuis le début des années 2000 aux élevages exotiques sur le territoire français (pour les Cafés géographiques et les Cahiers Espaces). Je souhaite montrer dans ce blog les liens entre les deux âges du caviar français: celui qui s'étend des années vingt aux années soixante et celui qui a débuté il y a vingt ans. L'aventure économique actuelle est également présentée en rapport avec les efforts de conservation ou plutôt de réintroduction de l'espèce locale, le sturio.

contact: monbeaucaviar@rphg.eu

dimanche 9 janvier 2011

Les espaces du caviar français (2) des systèmes locaux de production ?

La géographie du caviar français témoigne donc d'une très grande concentration spatiale; elle se caractérise également par la construction de réseaux de producteurs, même s'il est peut-être encore trop tôt pour parler d'un système local de production. Les producteurs autonomes, qui pratiquent à la fois le grossissement de l'esturgeon et la fabrication du caviar dans un même site sont devenus fort rares: il ne reste en fait que le Moulin de la Cassadote et l'Esturgeonnnière, toutes deux situées en marge du bassin d'Arcachon. Pour le reste, les piscicultures tendent à s'associer et à former des réseaux plus où moins étendus, dominés par une société qui maîtrise la fabrication du caviar, voire la totalité de la filière.
Trois réseaux doivent être distingués par ordre de taille: le caviar de Sologne, la Maison Prunier (Prunier manufacture) et la SCEA Sturgeon qui produit la moitié du caviar français et contrôle neuf sites de production.

La Sologne


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Près de Lamotte-Beuvron, la famille Hennequart possède une pisciculture de repeuplement (pour la pêche) depuis 1971. Vincent Hennequart qui a été initié à l'esturgeon du coté du bassin d'Arcachon s'est lancé dans cet élevage en utilsant les bassins et les étangs de la pisciculture familiale au début des années 2000, avec une production de caviar depuis 2007. Il s'agit d'étendues d'eaux beaucoup plus importantes que ce que l'on peut trouver autour de la Gironde: la logique est beaucoup plus extensive avec une faible densité de poisson. Le développement des activité et de la production (une tonne sur les vingt de la production française) ne peut donc se faire qu'en associant d'autres piscicultures, comme celle Bertrand Pajon à Jouy-le Potier, plus au nord. Le réseau n'en est donc qu'à son point de départ, construit autour d'un élevage maître qui maîtrise le grossissement et la production et possède sa propre marque de caviar (Solsenska).


Le triangle Prunier.



Afficher Caviar en France sur une carte plus grande. Les sites liés à Prunier son en jaune sur la carte.


Prunier est à la fois un nom qui évoque toute l'histoire du caviar français et un très grand producteur, le deuxième après Sturgeon. Lorsque Pierre Bergé a voulu redonner vie à la marque Prunier, il s'est appuyé sur un gros élevage de Dordogne, Estudor, lancé par le biologiste Laurent Sabeau au tout début des années quatre-vingt-dix. Le site de Montpon comprend à la fois une pisciculture et un atelier de fabrication  qui produit pour Prunier quelques cinq tonnes de caviar.  Si celui-ci n'a pas atteint les limites de ses capacités, il n'en est pas de même pour l'ensemble des bassins pourtant agrandi dans les années 2000. Il fallait "dé-serrer" l'élevage ailleurs. Prunier Manufacture est donc lié depuis plusieurs années à un producteur également très ancien, mais bien plus modeste: Pierre Tachon, qui élève des esturgeons au Tarsaguet (Riscle, Gers)  depuis 1991, et possède sa propre écloserie, ne fournit à Montpon que de quoi réaliser quelques centaines de kilo de caviar. Ces quantités devraient considérablement progresser dans les années à venir car près d'un hectare de bassins a été creusé à Riscle ces cinq dernières années pour accueillir des Baerii de Montpon mais aussi des ossiètres; les éleveurs français comptent en effet sur cette espèce plus réputée mais autorisée depuis peu en France pour développer le marché. Le partenariat, étroit puisque Prunier est rentré dans le capital de la société de Pierre Tachon, offre donc des avantages réciproques: le Moulin de Tarsaguet apporte de la "surface" et un certain savoir-faire dans la valorisation de la chair de l'esturgeon à Prunier qui permet de son coté à Pierre Tachon de faire réaliser le caviar dans un atelier puissant, au point et adossé au premier distributeur mondial, Caviar House & Prunier.
 Les relations avec le dernier acteur de ce "triangle Prunier" sont différentes: Frédéric Vidal a transféré les esturgeons de son élevage en étangs du Maine-et-Loire vers les Eyzies en Dordogne. Il vient de produire en 2010 son premier caviar sous sa propre marque, Perle Noire du Perigord. Si la société Aquadem de F. Vdal  n'est pas liée par son capital à Prunier, elle fait partie de son système local par la proximité et le lien constitué par l'envoi des esturgeons pour la production de caviar à l'atelier de Montpon.


Sturgeon: un véritable système local de production.


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La SCEA Sturgeon occupe une position dominante dans la production française, avec une dizaine de tonnes de caviar elle fabrique plus de deux fois les quantités élaborées par le second, Prunier.  Les fondateurs, la famille Boucher et le biologiste britannique Alan Jones ont su tisser un réseau étendu de sites de production à cheval sur la Charente-Maritime, et la Gironde. Les quatre lieux majeurs de ce réseau complet sont la grande ferme Aquacole de Saint-Fort-sur-Gironde, l'écloserie de Saint-Seurin sur l'isle, le site de conditionnement de Saint-Genis où les femelles sont abbatues, le caviar préparé et mis en boite, enfin  le siège social de Saint-Sulpicie-et-Calmeyrac près de Bordeaux. Au delà, Sturgeon à su s'associer avec d'autres pisciculteurs pour étendre les capacités en grossissement des esturgeon et la diversification actuelle vers d'autres espèces que le Baerii. Pour l'essentiel, il s'agit de diversifications ou de reconversions depuis l'élevage de salmonidés ou de poissons de repeuplement. Au total une dizaine de sites et sept piscicultures font de Sturgeon une galaxie du caviar très ancrée autour de la rive nord (droite) de l'estuaire, proches des lieux où se préparaient autrefois les boites du  premier âge du caviar français. Pourtant, le groupe use peu de cette référence historique et son réseau est plutôt ouvert sur l'extérieur, des liens ayant été tissés avec des producteurs européens , qui achètent par ailleurs les alevins de Saint-Seurin, et chinois pour les besoins de ce marché émergent dit-on.

Il reste à savoir comment le site de Neuvic sur l'Isle, exploité par la société Huso dont Delpeyrat participe au capital s’insérera dans cet ensemble de producteurs, désormais de plus en plus concentrés géographiquement. Cette concentration géographique soulève la question d'une appellation protégée, un IGP qui refait surface régulièrement sans que le dossier semble beaucoup avancer.

5 commentaires:

  1. Je relève "Son réseau est plutôt ouvert sur l'extérieur, des liens ayant été tissés avec des producteurs européens, qui achètent par ailleurs les alevins de Saint-Seurin, et chinois pour les besoins de ce marché émergent dit-on."

    Fallait-il armer la concurrence étrangère, assurer la reconversion de certains sites de productions de truites?

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  2. Il faut rappeler que le second âge du caviar en France est d'abord une histoire de reconversion de production de truites ou d'élevage de repeuplement: tous les "moulins "Cassadote, Tarsaguet, Moulineaux à Montpon" faisaient de la salmoniculture. Le Nom initial du moulin de la Cassadote était "la truite argentière". Les créations de bassins pour l'esturgeon ex nihilo ont été rares: l'estrugeonière, fondée sur la géothermie, le projet Petrossian à Bourg sont donc des exceptions.

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  4. Suite: en ce qui concerne la concurrence chinoise, il ne faut sans doute pas surestimer la responsabilité des producteurs français qui auraient effectués des transferts de technologie. L'arrivée fracassante du Schrenki élevé dans le bassin de l'Amour pour ces dernières fêtes est probablement davantage passé par les distributeurs. Lorsque l'on évoquela montée en puissance des productions des pays émergents, il ne faut pas oublier la croissance tout aussi rapide là-bas d'une classe de consommateurs fortunés qui seront sans doute amenés à devenir des consommateurs de Caviar. Il me semble qu'une bonne partie des exportations françaises avant 2008 allait vers les compagnies aériennes asiatiques...

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  5. Pour la reconversion de la production de truites, j'ai un doute pour Montpon: Laurent Sabeau s'est lancé dès le départ (1990) dans la production d'esturgeon - pour vendre la chair aux restaurants à l'origine - mais je ne suis plus certain qu'il ait repris des bassins de salmonidés préexistant. A vérifier donc...

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