A propos

L'auteur: Marc Lohez.

Je m'intéresse depuis le début des années 2000 aux élevages exotiques sur le territoire français (pour les Cafés géographiques et les Cahiers Espaces). Je souhaite montrer dans ce blog les liens entre les deux âges du caviar français: celui qui s'étend des années vingt aux années soixante et celui qui a débuté il y a vingt ans. L'aventure économique actuelle est également présentée en rapport avec les efforts de conservation ou plutôt de réintroduction de l'espèce locale, le sturio.

contact: monbeaucaviar@rphg.eu

samedi 30 avril 2011

Les enjeux du projet Pétrossian-Hakobyan à Bourg-Charente

L'implantation d'un grand élevage d'esturgeons près de Cognac n'est pas seulement  l'apparition d'un producteur de plus dans l'hexagone: par les acteurs impliqués et les ambitions d'un projet multiforme, elle permet de repenser les vingt ans d'histoire de la production de Caviar. Quinze ans après la résurrection de Prunier par Pierre Bergé et l’acquisition de l'élevage de Montpon en Drodogne, c'est la plus symbolique des maisons de Caviar parisiennes qui se lance dans l'aventure de la Production. Armen Petrossian s'est associé au businessman arménien Hrayr Hakobian, propriétaire à Cognac, pour lancer le centre de production de caviar de Bourg-Charente entre la sous-préfecture et Jarnac.

Grâce aux articles de Sud-Ouest, mais surtout de la Charente Libre publiés à l'occasion du lancement de l'enquête publique permettent de se faire une image plus nette de ce que pourrait être le site. Trois aspects doivent être dégagés:

- un site intégré et ambitieux. Alors que certains producteurs avaient tendance à associer plusieurs sites de production, voire à séparer différentes opérations dans des systèmes locaux de production , le projet de Bourg-Charente se caractérise par sa puissance et son intégration. Tout devrait se trouver sur place: l'écloserie pour la reproduction, les bassins de grossissement, les bassins d'eau claire pour les femelles avant le prélèvement du caviar, l'atelier de transformation des œufs en caviar. Des centres intégrés existent déjà, comme l'Esturgeonière du bassin d'Arcachon, mais avec moins de la moitié de la production prévue près de Cognac qui vise les 10 millions de tonnes, c'est à dire la moitié de la production nationale actuelle.

- une rupture. La plupart des sites actuels sont des reprises ou des reconversions d’élevages de salmondidés  ou de poissons de repeuplement; Bourg-Charente est créé sur un terrain vierge . Les images fournies par la Charente-Libre indiquent une volonté paysagère en rupture avec l'aspect des élevages actuels: les bassins aux formes arrondies, aménagés en terrasse, ne ressembleront ni aux longs bassins en béton des anciens élevages de truites ni aux étangs des poissons de repeuplement.

voir sur ce Blog l'article caviar et tourisme.
- une vocation touristique. La dimension paysagère du projet n'est pas seulement destinée à rassurer les riverains sur l'impact pour l'environnement (en plus des nombreuses garanties avancées quant aux rejets). L'aménagement de Bourg-Charente est pensé en fonction d'une intégration touristique censée fonctionner à double sens: le site de production est conçu en fonction d'une mise en valeur touristique et sert d'attraction pour le territoire qui l'entoure. L'élevage pourra se visiter, sans doute dans le cadre de circuits de découvertes comme c'est déjà le cas pour le Moulin de Cassadote.Le centre s'appuie ensuite sur un patrimoine touristique à différentes échelles. Sur place, il y aura probablement une mise en valeur des découvertes archéologiques faites à l'occasion des fouilles préventives effectuées avant les débuts des travaux. Compte-tenu de l'emplacement de l'élevage au bord de la Charente, le lien avec le tourisme fluvial semble déjà prévu. Enfin, Hrayr Hakobyan possède à Cognac un domaine où l'élevage aurait du être installé. le château de Chatenay jouera-t-il le rôle d'une vitrine de l'élevage comme  il était prévu il y a quelques temps ? Mais le monde des distilleries, lui, ne saurait être oublié dans cette intégration touristiques.

Restent quelques questions en suspens: L'installation de cet élevage nouveau dans le monde des distilleries de cognac, qui se trouve être également le principal pôle de production des vodkas françaises, signifiera-t-il le rapprochement entre Pétrossian et les vodkas de l'hexagone. Ira-t-il jusqu'à imiter Prunier qui produit ses propres vodkas dans le même département que son principal site de fabrication de caviar. On peut aussi se demander le lien qui sera fait avec la gastronomie locale et le sort qui sera réservé à la chair d'esturgeon qui devrait logiquement être conditionnée sur place. Enfin, le démarrage de l'élevage devant être assuré par l'importation d'esturgeons venus d'Arménie, on peut se demander combien de temps prendra la montée en puissance de ce site qui vise les 10 millions de tonnes de caviar....

10 commentaires:

  1. Pas grand chose à contester sur le fond de l'analyse
    Juste quelques interrogations.
    1. L'Esturgeonnière ne produit guère plus de 3,5tonnes l'an (on est loin des 5tonnes). Dont un tiers livré chez...Petrossian.
    D'où, quel avenir pour le site du Teich après 2012?
    2. Le Moulin de la Caqssadote a effectivement osé un semblant de développement touristique. Sans convaincre (absence de professionalisme, manque d'intégration dans l'offre du Bassin,...).
    D'où, quel avenir pour le site de Biganos si le centre de gravité se déplace de l'historique vers le concret, de la Gironde vers la Charente?

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  2. Sur la production de l'Esturgeonière, je me suis effectivement emmêlé dans les chiffres. C'est donc un peu moins de trois fois et non un peu plus de deux fois....
    Pour les conséquences sur la production des autres élevages, je pense qu'il ont un peu de temps devant eux et que Bourg Charente ne va peut-être pas être en mesure de remplacer la tonne fournie par le Teich à Petrossian si vite que cela : cela représente une dizaine à une quinzaine de tonne d'esturgeon femelles qu'il faut donc faire venir d'Arménie. Les premiers coups de pioche sont prévu pour cet automne. Donc le démarrage en 2012 serait déjà une belle performance, quant à la production... Pour les années suivantes, on le sait par l'expérience de la deuxième moitié des années 90, la progression de la production peut-être très rapide. Mais cela laisse tout de même un petit temps de réaction pour les existants (et cela fait trois ans que le projet charentais est annoncé).

    Pour Biganos (tout de même géré par des professionnels du tourisme) l'atoût réside dans son statut de pionner qui sera renforcé pour les 20 ans en 2013; il y a aussi le rôle de l'espace touristique environnant, la proximité de Bordeaux. Le Bassin d'Arcachon se trouvera certes plus excentré, mais les atouts nombreux -et la culture- du projet Pétrossian ne sauraient suffire à en faire de Bourg-Charente la capitale du caviar. La situation serait sans doute bien différente si Armen Pétrossian s'était lancé dans le bain il y a une douzaine d'années.

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  3. A l'image de ce qu'il s'est passé dans le domaine des éditions musicales, l'arrivée de Petrossian sonnera la mort des micro-structures indépendantes de type "Esturgeonnière", "Cassadote" ou "Hennequart",...

    Qui doute encore de la non-bi-céphalité du monde du caviar français dès 2012 : d'un côté, les Petrossian (traditionnellement rétifs aux fragmentations actionnariales), de l'autre, Prunier & Caviar-House (présenté comme plus "fédérateur")?

    Difficile d'interdire cette mutation sachant que ces deux enseignes disposent des moyens de leurs politiques (histoire, tradition, positionnements stratégiques, réseaux, diversité de l'offre, culture,...)?

    Sans parler d'introductions "royales" sur les marchés des capitaux...

    Conséquences.

    - Soit, "nos petits français" mourront étouffés sous le poids de la mondialisation (on trouve du vrai baeri sous les...900-euros, prix de vente public, en boutique...place de la Madeleine!)…

    - Soit, nos poids lourds français débrancheront l'assistance respiratoire des présumés incapables d'atteindre une taille critique donnant droit de parole lors de la fixation des prix.

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  4. L'Histoire rapporte que Pierre Bergé souhaitait acquérir, parallèlement, tant l'Esturgeonnière qu'Estudor de Laurent Sabeau.

    Traduction

    Il n'y avait pas place pour Pétrossian (la Cassadote était une succession de bassins...en terre, ce qui, aujourd'hui, constitue un handicap industriel majeur).

    A l'époque, il eut fallut être particulièrement cinglé pour investir dans...le brouillard, pour s'appuyer sur des compétences aussi "spontanées" qu'"autoproclamées".

    Accessoirement, "signer" en France n'était-ce pas aussi s'enferrer dans les mailles du baeri?

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  5. Il est intéressant de constater que le projet prévoit de représenter 25% de la production nationale à terme: c'est à dire qu'il fait confiance à ses concurrents pour passer de 20 tonnes à 30 tonnes. Cela est cohérent avec la construction de nombreux bassins ces dernières années, mais peut-être pas avec la concurrence croissante des autres producteurs mondiaux (pas trop pour le baerii: Sturgeon a été capable d'en vendre à 13 euros les 20g en monoprix pour les dernières fêtes).

    Si la perspective eschatologique décrite par Aquitaine est donc possible, elle n'est toutefois pas celle sur laquelle j'ai construit ce blog: la puissance des lois économiques y conduit, mais l'aventure française n'aurait pu exister en y obéissant strictement. Je vois mal certains élevages revenir aux truites: "un homme lancé sur le caviar, ne peut revenir en arrière" disait le grand économiste Paul Meurisse...

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  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  7. nos commentaires se sont croisés: les deux derniers messages ont été écrits simultanément et ne tiennent donc pas compte l'un de l'autre.

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  8. Variable sous-estimée : le choix des espèces.

    Jusque 2005-2006, le consommateur lambda pouvait se satisfaire d’un «sibérien français».
    Depuis, qui, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’«Europe des Régions», ne produit-on pas son baerii «local», à qualité et prix comparables ou…inférieurs?
    Pour rappel, il fut un temps où seul le «sibérien» avait droit de cité légal, restriction au droit à entreprendre dont a pu profiter les promoteurs du…guldenstaedti (osciètre).

    Débats

    1. La France n’est-elle pas, structurellement, appelée à n’être plus compétitive que sur des marchés de proximité ou sur des segments…à très faible valeurs ajoutées?

    2. A titre subsidiaire, à quelles réformes doit-on s’attendre pour sortir du cabotage (élimination des «ruches à sommeil», redécouverte de l’innovation, valorisation des chairs, dépoussiérage des services commerciaux, mutualisation des stratégies,...)?

    3. A titre très subsidiaire, le baerii n’est-il pas devenu synonyme de…bas de gamme?

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  9. Variable tue : «Y a-t-il encore un pilote dans l’avion?»

    Que reste-t-il de la génération des «pères fondateurs» (Carré, Zinzius,...),
    Hormis Laurent Sabeau, personne! Même Jones (Sturia) s'en est allé…
    Par qui ces «références historiques» ont-elles été remplacées?
    Par une meute de «consolidateurs-bailleurs de fonds» (Jean Leduc, Pierre Bergé,...), laquelle meute n’a jamais pu s'opposer à la montée en puissance d’une kyrielle de «suffisants» (ceux qui savent se labelliser «goûté et apprécié par moi-même» : Berthommier à l'Esturgeonnière, Jean-Pascal Feray pour la Cassadote, Frédéric Boucher chez Sturia,…).
    Qu’on le veuille ou non, ces managers «évolution 3» ne parviennent pas à séduire (refus d’accepter certaines règles de convivialité, manque de culture, désintérêt pour le travail d’atelier,…).

    Dans ces conditions, sur un volume théorique de 20 tonnes (auquel il conviendra d’ajouter le quota de 10 tonnes d’origine «bourgeoise»), il ne faudra pas être grand mathématicien pour prédire que Petrossian en absorbera…10, Prunier,…4, le syndicat des autres grands distributeurs (Kaviari, Volga, Kaspia) garantissant la prise en charge des 6 dernières…

    Parce qu’en mathématique du caviar 20 + 10 = 20 (parfois 22)! Jamais, 30!

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  10. deux remarques, avant une mise au point plus générale sur la nature de ce blog.

    - sur les espèces: en France même, l'ère du tout-baerii est sur le point de s'achever: la réglementation a changé et les éleveurs ont en bassin d'autres espèces. le baerii va donc bien devenir progressivement une entrée de gamme (pour sa survie à des prix inférieurs au transmontanus américain ou italien)

    - sur les éleveurs et managers, je n'ai pas l'intention de me lancer dans une défense ou un procès, de décerner des médailles, ou d'exiger des réformes.

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